Il y a quelques années, j’avais été interpellé par un article du New York Times qui insistait sur le choix délibéré de Google de favoriser le recrutement de profils « non-experts » pour ses fonctions support, afin de susciter la créativité (Thomas Friedman, 22/2/2014). Cela me semblait bien à l’opposé de ce que j’observais chez de nombreux prospects, en tant que consultant indépendant : la plupart des entreprises, lorsqu’elles recherchent un appui extérieur pour une réflexion stratégique, ne sélectionnent pas le profil le plus inventif, mais se rassurent en sélectionnant celui qui semble avoir l’expérience la plus répétée sur la question spécifique à traiter. Ainsi elles sont souvent conduites à répliquer sans cesse les solutions qui ont déjà été surutilisées.
Mais la situation actuelle est inédite. Et face à une crise inédite comme celle-là, si l’on conserve cette logique, vers quel expert se tourner pour dessiner la sortie de crise ?
Le caractère inouï de l’enchevêtrement des problématiques actuelles impose de prendre en compte le maximum de paramètres et de mobiliser des compétences extrêmement différentes, voire divergentes. Il s’agit d’avoir des antennes partout, et de concilier des modes de pensée qui peuvent être antagonistes. Comment penser ensemble l’adaptation aux nouvelles contraintes des clients, la réponse aux besoins changeants et aux attentes variables des clients, les impératifs de trésorerie, l’évolution incertaine du cadre juridique et réglementaire, la prise en compte du changement climatique, le souci de préserver la biodiversité, les évolutions sociétales, le contexte géopolitique, les interdépendances des chaînes d’approvisionnement au niveau mondial et la multitude d’événements divers qui peuvent les affecter, l’influence des médias et des réseaux sociaux, la psychologie des foules (sous toutes leurs formes), le renforcement des liens avec l’ancrage local, et caetera, et caetera ?
Aujourd’hui, aucun expert n’est légitime pour définir ex cathedra les mesures à adopter après la crise du Covid-19. Seule une véritable démarche d’intelligence collective peut permettre de définir ces mesures en minimisant les risques de vulnérabilité. Afin de sortir par le haut de cette épreuve, de façon durable, il est nécessaire de mettre en place une authentique approche d’intelligence collective, structurée sérieusement, assise sur les postures adéquates, associée aux comportements en cohérence avec cette démarche.
Cela suppose que l’accompagnateur de cette démarche ne soit lui-même pas dans une posture de gourou imposant ses vues, ou d’idéologue manipulant ses interlocuteurs pour instiller ses projections et ses idées propres. Il s’agit d’être dans un véritable mouvement d’ouverture profonde, pour voir émerger des solutions générées tant par le centre du système que par ses périphéries.
La bonne nouvelle, c’est que les techniques, cadres et méthodes existent déjà, et n’ont pas cessé de s’enrichir au cours des dernières années. Mais pour les embrasser, il faut que les personnes impliquées, ou au moins celles qui tiennent les rênes, acceptent de se défaire d’une partie de leurs attributs, rentrent dans une forme de lâcher prise et de dépossession, opèrent d’abord une sorte de conversion intérieure… C’est probablement là, la partie la plus difficile…
Suivons donc les généraux et les stratèges qui nous incitent à baisser les armes, et luttons « ensemble » !